
Les fameux cours de guitare, tous les mercredis et vendredis, seront à tout jamais gravés dans notre mémoire et surtout celle de mon père. Des souvenirs chargés d’émotions et surtout des fous rires énormes quand on en reparle entre nous. Nous venions de nous installer en France et mon père, par souci d’intégration, souhaitait vivement adopter le “mode de vie local”. Nous étions donc aux anges, mon frère et moi, impatients de goûter aux traditions locales telles que ce sublime terrain de football avec du vrai gazon ou ces magnifiques jeunes filles aux cheveux si blonds. Mais pour mon papa, adopter le mode de vie local avait un tout autre sens que celui imaginé par deux adolescents boutonneux fans de foot et de filles. Pour faire plus “français”, mon père avait eu la lumineuse idée de nous inscrire à des cours de musique, dans une véritable école de musique et avec de véritables professeurs de musique !
La musique est un moteur d’émancipation
Fier et heureux de sa brillante idée, il est venue nous l’annoncer un soir de septembre, à peine un mois après notre arrivée dans l’Hexagone. Devant le fou rire de ma mère, les yeux écarquillés de mon frère et ma mine surprise, il se lança dans un vigoureux argumentaire mêlant fierté nationale, luttes anticolonialistes et valeurs culturelles tout en finissant son discours par un formidable plaidoyer pour la musique en tant que moteur d’émancipation. Je tiens à rappeler que mon père n’a jamais tenu entre ses mains un instrument de musique ni chanté de toute sa vie et que son discours aurait pu servir de modèle pour un cours théorique sur la langue de bois à Science Po. Bref, vivant à une époque où un père avait droit de vie et de mort sur sa progéniture, nous n’avions pas d’autre choix que d’accepter sa décision et de prendre des cours de musique. Conscient de nous avoir forcé ou pris de pitié, notre paternel nous laissa tout de même choisir notre instrument et le regretta amèrement par la suite.
En effet, très tôt, mon frère avait développé une aptitude exceptionnelle à se transformer en facteur de risque pouvant provoquer une maladie cardiovasculaire aux membres de sa famille et surtout à ses parents. Fidèle à lui-même et avec un haut niveau de perversité, il prit exactement trois secondes pour dire à mon père qu’il souhaitait “faire de la contrebasse”. En regardant mon papa, on a tout de suite compris qu’il venait d’apprendre l’existence de cet instrument et qu’il n’avait aucune idée de sa taille (entre 1,60 m et 2,05 m). Soulagé de ne pas voir mon frère opter pour le piano ou la batterie, il valida son choix et se tourna vers moi pour savoir quel instrument je voulais apprendre.
Mes premiers cours de guitare : un rêve devenu réalité
Contrairement à mon grand frère, adolescent turbulent et doté d’un cerveau fonctionnant en mode binaire, j’adorais la musique… toute la musique. J’étais donc au fond de moi impatient de prendre des cours et surtout d’apprendre à jouer de mon instrument préféré : la guitare.
À peine âgé d’une dizaine d’années, je commençais à découvrir la pop, le rock mais aussi le flamenco, le blues et le jazz. Doté, selon mes proches, d’une oreille musicale exceptionnelle, je commençais assez jeune à étoffer ma culture musicale en écoutant sur cassettes (K7 pour les plus jeunes ) les tubes de l’époque et les classiques du disco ou du Rock’n’roll.
À cette époque je venais tout juste de découvrir deux groupes mythiques : Queen et Dire Straits. Plus j’écoutais en boucle leurs albums, plus je tombais amoureux de leurs guitaristes et de leurs styles respectifs. Leader du groupe Dire straits, Mark Knopfler était un droitier jouant comme un gaucher et avait un style aérien blues-country-rock virtuose qui lui a permis de figurer dans le classement des trente meilleurs guitaristes de l’Histoire. Ses solos dans des morceaux comme Sultans Of Swing ou Money For Nothing ont fait de moi un fan inconditionnel et j’essayais tant bien que mal d’imiter le mouvement de ses doigts devant la glace. Au-delà de la voix et des prestations scéniques légendaires de Freddie Mercury, ce fut surtout Brian May, le cofondateur et guitariste du groupe Queen, que j’admirais le plus. Astrophysicien (oui,oui) et Guitar Hero par excellence, ce musicien, chanteur et auteur-compositeur m’a tout simplement fait aimer la guitare comme jamais. Sa virtuosité, sa technique, son génie mélodique et sa légendaire Red Special (guitare unique au monde et faite maison) lui ont ouvert les portes de mon panthéon personnel de la musique.
C’est donc tout heureux et fier que j’accompagnais mon père et mon frère pour nous rendre dans une de ces écoles de musique de quartier à l’ouverture des inscriptions. Pour de multiples raisons, ce fut un jour mémorable et sans doute l’un des plus drôles. D’abord, mon père a eu l’énorme privilège de découvrir la contrebasse et le mauvais tour joué par l’aîné de ses fils. Il fut ainsi confronté à cet encombrant instrument de presque deux mètres et une vingtaine de kilos, aux sons graves et incompatibles avec sa vision personnelle de la musique. Contraint de respecter ses engagements, il dut payer une caution pour prendre possession de nos instruments respectifs, nous inscrire et rentrer à la maison tel un Sherpa tractant une lourde charge au bas de l’Himalaya. Ce fut le programme de mon père durant plus de deux mois : nous accompagner, à pied, les mercredis et les vendredis à notre école de musique avec un instrument dans chaque bras.
Comment utiliser une contrebasse pour jouer des percussions orientales ?
Au bout de trois semaines, on avait l’impression qu’il prenait des stéroïdes au petit déjeuner. Il avait développé une musculature imposante sans se douter que son calvaire allait prendre une tout autre dimension. Car en plus d’être une bête de somme pour ses deux rejetons, notre père eut à subir les nombreuses répétitions et exercices de musique que nous faisions chaque soir à la maison. Quand vous avez deux adolescents débutants en musique, dont l’un est un cancre absolu, il ne fait aucun doute que la crise de nerfs n’est pas loin. Impossible pour mon père de nous demander d’arrêter puisque nous tentions de nous intégrer par la musique mais sa patience fut mise à rude épreuve, car mon frère avec une contrebasse c’était un spectacle exceptionnel. Délaissant son archet, il “jouait” en utilisant la technique du pizzicato qui consiste à percer les cordes avec ses doigts comme le font les artistes de jazz. Si visuellement cela pouvait prêter à confusion, au niveau du son et de la mélodie c’était tout simplement un massacre. Au grand désespoir de mon père, il lui arrivait même de poser sa contrebasse sur les genoux et de s’en servir comme tambour pour jouer quelques percussions bien orientales.
Lessivé, épuisé et disposant d’un nouveau gabarit musculaire assez impressionnant, il nous réunit quelques semaines plus tard pour admettre, du bout des lèvres, que ce fut une monumentale erreur. Soulagement pour mon frère mais grosse déception pour le guitariste débutant que j’étais. J’ai pu heureusement suivre des cours de guitare plus tard et reprendre ma passion tout en gardant un tendre souvenir de mes premiers cours de musique et des efforts de notre père.
Cet article évoque pour vous de nombreux souvenirs ou de croustillantes anecdotes sur vos premiers cours de guitare ?
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